Les gorges de l’Ardèche : une rivière sauvage

Sur près de 30 km, entre Vallon Pont d’Arc et Saint-Martin d’Ardèche, la rivière a creusé dans le plateau calcaire un canyon spectaculaire, dont les falaises dorées recèlent un patrimoine naturel et historique exceptionnel.

Née dans le massif cévenol du Mazan, l’Ardèche se jette dans le Rhône à hauteur de Pont-Saint-Esprit : un modeste parcours d’environ 120 km dont les gorges forment la partie centrale, et de loin la plus impressionnante. Comment la rivière couleur d’émeraude, avec son impétuosité légendaire, a-t-elle pu se frayer à travers la roche un chemin aussi incroyablement sinueux ? La réponse nous ramène quelque 110 millions d’années en arrière, lorsque la mer qui recouvrait le Sud-Est de la France se retira, laissant derrière elle un épais socle calcaire.

Soulevé et fracturé lors de la formation des Alpes et des Pyrénées, celui-ci forma un plateau fissuré où les eaux de ruissellement s’infiltrèrent, dissolvant le calcaire en profondeur, et creusèrent – avec l’aide du gel – d’innombrables puits, grottes et galeries :  ce que l’on nomme un « karst ».

Un lent travail d’érosion

En surface, faute de pente, la rivière creusait son lit en musardant de détour en méandre, profitant parfois des cavités souterraines du karst. Ainsi les gorges, dont la profondeur atteint par endroits 350 mètres, dessinent-elles tantôt de larges courbes, celles de Ribeirol ou du château de Gaud par exemple, tantôt des boucles resserrées comme celles de la Madeleine, de la Maladrerie, ou encore du pas de Mousse.

Pour ce dernier méandre d’ailleurs, les années sont comptées, car l’Ardèche poursuit son patient travail de sape. Insensiblement elle resserre chaque boucle, usant plus rapidement l’extérieur des virages, et comblant l’intérieur par des dépôts de sables et de galets jusqu’à ce qu’enfin elle puisse ouvrir une brèche dans le promontoire et couper au plus court.

C’est ce qui est arrivé quelques centaines de mètres en amont, où le courant a ciselé le célèbre Pont d’Arc : une arche prométhéenne large de 60 mètres et haute de 37, qui tient lieu de portail triomphale des gorges. Un phénomène semblable, jadis, a dû isoler de la falaise l’impressionnant rocher de la Cathédrale, en aval.

Une rivière capricieuse

L’Ardèche est connue pour être l’une des rivières les plus irrégulières de France. Alimentée en grande partie par les infiltrations du plateau, qui s’y déversent en résurgences plus ou moins visibles le long des parois, elle est sujette, lorsque les orages s’abattent sur les Cévennes, à des crues foudroyantes, la vitesse du flot augmentant d’autant son pouvoir d’érosion.

En une douzaine d’heures, son débit peut varier de moins d’un mètre cube par seconde à plus de 5 000. Quelque peu assagie depuis sa régulation en amont, la rivière garde durant ces épisodes une puissance impressionnante : au confluent, on la voit alors repousser littéralement les eaux du Rhône…

Les espèces animales et végétales ont du mal à s’adapter à ces alternances d’étiages très faibles et d’inondations : les renoncules aquatiques se laissent porter au gré du courant ;  l’Alkana tinctoria, petite fleur bleue peu commune pour la région, profite des sécheresses pour investir les dunes de sable. Sur les berges, saules et peupliers s’imposent en première ligne du cordon forestier, suivi par les ormes et les frênes.

Le martin-pêcheur s’y tient aux aguets, tandis que le cyncle pêcheur arpente les hauts fonds en quête de larves et que les bergeronnettes sautillent en hochant la queue sur les bancs de galets. On y rencontre aussi quelques hérons et, en hiver, de grands cormorans frileux venus s’abriter des tempêtes. En été, les eaux basses et claires offrent une succession de bassins calmes – où l’inoffensive couleuvre vipérine effraie parfois les baigneurs – et de rapides, tels ceux du Charlemagne, de la Dent Noire ou de la Toupine du Gournier, qui font la joie des canoéistes et des poissons d’eaux vives.


On y trouve notamment de grosses truites, des migrateurs comme les anguilles ou les aloses, et une espèce endémique et particulièrement menacée, l’apron du Rhône. Ce petit poisson rayé, cousin de la perche, était autrefois réputé pour porter malheur : on le clouait aux portes comme ailleurs les chouettes et les chauve-souris…

La garrigue sur un plateau

Malgré l’abondance des pluies de printemps et d’automne, et même ma fréquence des brouillards sur le massif, le karst en évacuant aussitôt vers les profondeurs la moindre goutte d’eau impose au paysage une sécheresse quasi méditerranéenne.
La végétation du plateau se compose donc d’un mélange de pelouses sèches riches en orchidées, comme l’ophrys bécasse et l’ophrys jaune, ou en plantes grasses dont les feuilles stockent l’humidité, et de garrigues basses où se retrouvent thym, lavande ou bragalou, semblable à un jonc aux fleurs bleues et blanches. Lorsque celle-ci s’embroussaille, faute d’être pâturée, apparaissent le buis, le térébinthe et le cade. Des bois de chênes verts, jadis exploités pour le charbon de bois, subsistent également, en lisière desquels pousse encore la rare pivoine officinale, dont la cueillette est interdite.
Dans un tel décor la faune se fait discrète : petits mammifères, scorpions, insectes nombrables, dont le curieux moro-sphinx, ou sphinx colibri, papillon de nuit qui s’affaire pourtant le jour, de fleur en fleur, sans jamais se poser. Parmi les buissons, on remarquera le grand lézard vert, aux couleurs éclatantes, et avec un peu de chance le rarissime lézard ocellé, et diverses couleuvres. La couleuvre d’Esculape, elle, grimpe aux arbres et partage la chênaie avec un mammifère mal connu, la genette.

À flanc de falaise

En levant les yeux enfin, on apercevra peut-être le lent vol plané d’un circaète Jean-le-Blanc, grand amateur de reptiles, du vautour Percnoptère, charognard migrateur qui passe la mauvaise saison en Afrique ou de l’aigle de Bonelli, qui à la faveur de ses parades nuptiales, au début de l’hiver, offre aux spectateurs un véritable festival de voltige aérienne.

Les hautes falaises, avec leurs fissures, leurs vires étroites et leurs éboulis, conviennent à ces grands rapaces qui y voisinent avec les hirondelles, les martinets et de bruyantes colonies de choucas, ainsi que quelques grands corbeaux et hiboux grands ducs.

Peu d’espèces végétales, en revanche, savent s’accommoder de leur quasi absence de sol, et celles qui y parviennent gardent en général des proportions de bonsaïs : citons la discrète biscutelle aux fleurettes jaunes, l’alysse à gros fruits, quelques iris nains, des fougères et des euphorbes, et surtout le genévrier de Phénicie, habitué des rocailles calcaires, dont certains sont ancrés dans la roche depuis plus de 1 500 ans.

Découvrir les gorges

Grâce à la route panoramique tracée dans les années 1960 sur la rive gauche en bordure du plateau, et jalonnée de belvédères aménagés – notamment ceux du Serre de Tourre et de la Maladrerie -, on découvre en vue plongeante, entre Vallon Pont d’Arc et Saint-Martin d’Ardèche, la rivière qui dessine ses méandres verts entre falaises vertigineuses et pentes tapissées de chênes verts?

Mais c’est du fond des gorges que l’impression d’encaissement est la plus saisissante. La descente en canoë, avec des parcours d’une demi-journée à trois jours est un must qui attire chaque été une foule d’amateurs. Les plus sportifs préfèrent les sensations fortes du printemps, quand le courant est plus puissant…

Mais c’est sans aucun doute la balade pédestre, environ 25 km le long de parcours balisés nettement moins fréquentés, et pr endroits quelque peu acrobatiques – vires étroites, échelles, passage de la rivière à gué sur des galets glissants -, qui permet d’avoir la meilleure approche de ce milieu naturel d’exception…

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