Le causse du Larzac, une forteresse de calcaire

Âpre domaine du vent, de la pierraille et des brebis, cette immense steppe calcaire forme au sud du Massif Central un ultime haut plateau, glacial en hiver et brûlant l’été. Un univers fascinant dont l’apparente désolation cache une flore aux richesses insoupçonnées.

Il y a quelques décennies, les guides touristiques exhortaient à ne pas s’attarder dans « ces paysages arides et monotones », pour tout dire inhospitaliers. on prête heureusement désormais davantage d’attention aux espaces remarquables des Grands Causses, en grande partie protégés par un parc naturel régional dont le Larzac n’est qu’une fraction.

Le haut plateau qui occupe le sud du Massif Central se divise en effet en quatre grands ensembles séparés par de profondes vallées en entailles. Du nord au sud se succèdent ainsi le causse de Sauveterre entre vallée du Lot et gorges du Tarn, le causse Méjean qui s’arrête aux gorges de la Jonte puis, jusqu’aux gorges de la Dourbie, le Causse Noir, plus petit (200 km²) mais dont les sombres forêts de pins furent jadis un coupe-gorge.Le causse du Larzac, enfin, est le plus méridional et le plus vaste.

Bastion de pierre

Sur quelque 1000 km², et à une altitude variant de 600 à 900 mètres, il étire de Millau à Lodève ses croupes arides, quasi lunaires, et constitue l’un des plus grands plateaux calcaires de France. Dominant les garrigues languedociennes, il est bordé au sud-est par les gorges de la Vis et ses crêtes abruptes de la montagne de la Seranne, et interrompu à l’ouest par des vallées verdoyantes de la Sorgue et du Cernon, où les principaux villages se blottissent à l’abri des rigueurs climatiques.

À l’origine – au Jurassique, c’est-à-dire il y a environ 180 millions d’années -, il y avait là un vaste golfe marin tropical, dont les sédiments se sont peu à peu agglomérés. Les différentes strates rocheuses en gardent les traces fossilisées : ammonites, algues, traces de reptiles et de dinosaures. Lorsque le plateau se souleva, vers la fin de l’ère Tertiaire, les eaux de pluie commencèrent à user et à dissoudre le calcaire, s’infiltrant dans les failles pour creuser grottes, avens et rivières souterraines, et créer ce relief typiquement karstique, marqué en surface de rochers ruiniformes et de dolines, dépressions circulaires qui retiennent l’eau.

Petites, celles-ci servent d’abreuvoirs naturels , les lavognes, souvent empierrés à cet usage. Plus larges, elles sont des îlots de terre fertile qui prennent, dans ce désert, des allures d’oasis.

Un château d’eau géant

Sitôt tombée, sitôt infiltrée, l’eau est donc rare à la surface du Larzac. Mais en sous-sol, les réserves sont immenses. Une étude hydrogéologique approfondie a permis de les estimer à 76 millions de m³ par an, soit plus de 60 ans de consommation d’une ville de 20 000 habitants, à raison de 150 litres par jour et par personne. Conservée quelques heures ou quelques années, l’eau réapparaît au flanc des gorges ou des vallées, sous forme de résurgences souvent captées pour les besoins humains, comme l’Espérelle qui aliment Millau.

On compte dix-neuf sources de ce type qui alimentent la Dourbie, le Tarn, l’Hérault et la Vis. Cette dernière, qui a taillé dans le plateau des gorges impressionnantes, présente un profil assez spectaculaire : au niveau d’Alzon elle disparaît mystérieusement, laissant à sec un lit caillouteux – d’où le nom du village de Vissec – qu’elle n’emplit qu’à l’occasion de fortes pluies ; puis elle jaillit à nouveau en une énorme masse d’eau à la source de la Foux, 13 km plus loin.

Encore n’a-t-on vérifié qu’en 1947, grâce à une expérience de coloration à la fluorescéine, qu’il s’agissait du même cours d’eau : car il lui faut parcourir cette distance, de galeries en lacs et en siphons, pas moins de 29 jours ! Mais il arrive aussi, quoique rarement, qu’un invisible éboulement intérieur fasse tarir la source brutalement, parfois pendant plusieurs jours.

Désert très vivant

Sauvages en apparence, les paysages du Larzac ont été largement modelés par l’homme : lavognes bien dallées, pâtures épierrés siècle après siècle où les cailloux demeurent entassés en clapas, réseaux de murets et de haies, caselles – « igloos » de pierre sèche qu’on nomme ailleurs « capitelles » ou « bories » – et jasses – bergeries – isolées…

C’est que, depuis toujours, ils sont une terre de passage, en particulier pour la transhumance des troupeaux. Les hommes du Néolithique y ont élevé dolmens et menhirs, les Romains y ont tracé leur voie, lointaine ancêtre de l’actuelle autoroute A75. L’ordre des Templiers, qui hérita du territoire au XIIe siècle, y édifia des refuges fortifiés qui comptent aujourd’hui parmi les merveilles médiévales de notre pays : la commanderie de Sainte-Eulalie-de-Cernon, la cavalerie, aujourd’hui porte du camp militaire du plateau, la tour du Viala-du-Pas-de-Jaux, ma ùinuscule citadelle cernée de remparts de la Courtevoirade…

Mais la plus grande partie des hautes terres est composée d’étendues rares et vides sur lesquelles planent les grands rapaces, hôtes des gorges et vallées de la Dourbie, parmi lesquels des aigles royaux, des busards, des circaètes et autres faucons pèlerins, moines et percnoptères, admirables « éboueurs » charognards, bénéificaires d’un plan de réintroduction exemplaire. Les mares des lavognes, peuplées d’insectes et de batraciens, attirent également de nombreux oiseaux.

Le royaume de la pelouse sèche

Sur la majeure partie du Larzac, les sols sont pauvres, couverts seulement de quelques centimètres de terre. C’est le domaine de la pelouse sèche. Sèche l’été, du moins, car, au printemps, cette végétation devient méconnaissable, épanouie en fleurs multicolores parmi lesquelles de nombreuses orchidées – comme le sabot de Vénus- souvent endémiques, des chardons bleus, et sur les terres dolomitiques, riches en magnésium, des arméries faux-joncs rose et des lins jaunes ou bleus.

Le causse, qui représente 0.6 % du territoire français, accueille plus de 40 % de sa flore ! Toutefois ces pelouses, nées du pâturage intensif par les moutons depuis l’époque Néolithique, exigent un entretien régulier. Faute de quoi elles s’embroussaillent de genévriers et de buis, l’ennemi principal de l’agriculteur caussenard, avant d’être recolonisées par le chêne ou le pin sylvestre. C »est pourquoi le parc régional s’efforce de sensibiliser les propriétaires à leur sauvagarde.

Par ailleurs, quelques zones boisées abritent une population de hêtres – vestiges de plantations jadis exploitées intensivement – et surtout de chênes pubescents, que leur duvet blanchâtre protège opportunément de l’évaporation. On les retrouve notamment sur le plateau du Guilhaumard, près de Saint-Xist et du Clapier. Enfin subsistent quelques zones cultivées aux allures bocagères, appelées « ségalas » (pays de seigle) : elles étaient autrefois beaucoup plus étendues.

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