La forêt de Tronçais, une cathédrale de verdure

Colbert, ministre sous Louis XIV, lui donna ses lettres de noblesse en 1669. La forêt domaniale de Tronçais, située au cœur de l’Allier, est aujourd’hui le fleuron des forêts de France.

« La Varnigeole », « Bois Brochet », « Le trésor », « Beauregard », autant de noms de parcelles évocateurs que les cartes détaillées nous livrent. Ils nous entraînent loin dans le temps, au plus profond de la forêt domaniale de Tronçais. Là, veillent des géants inestimables, drapés de verdure et tendus vers le ciel comme des défis à la folie du monde…Nous sommes au pays du chêne-roi…

Voilà 11 000 ans que leurs ancêtres ont colonisé les lieux, après la glaciation de Würm qui avait relégué la végétation forestière au sud des Pyrénées et des Alpes. Arrivés d’Espagne comme en atteste leur code génétique, ils ont conservé leurs qualités. C’est le chêne pédonculé, au tempérament « pionnier », qui se serait installé le premier. Mais il est peu adapté aux sols de Tronçais et plus vulnérable aux sécheresses estivales. Il a besoin d’une alimentation en eau continue. C’est pourquoi le chêne sessile, aussi appelé rouvre, plus frugal et plus grégaire, l’a supplanté et domine aujourd’hui la plus belle chênaie d’Europe.

Le promeneur admire ses grands fûts rectilignes, bien élagués, dont le feuillage est haut. Les rais de lumière, verticaux, tels des colonnes, inondent un sous-bois très riche en végétation.

Un climat propice aux essences réputées

Là où s’est constitué un sous-étage de hêtres ou de charmes, on trouve les meilleurs chênes rouvres : arbres droits, dépourvus de nœuds, de grandes dimensions, à accroissement régulier donnant un bois tendre et homogène de couleur jaune paille. Les conditions de croissance peu favorables, un sol pauvre et les manques d’eau en été induisent une croissance lente.

Les meilleurs bois de Tronçais sont recherchés en ébénisterie, en menuiserie et en tonnellerie pour les grands vins de Bordeaux et des Cognacs. Dans ces derniers cas, on apprécie particulièrement leurs tanins discrets et l’oxygénation lente que permet le grain fin du chêne.

La « futaie Colbert » qui concentre les plus veaux spécimens, est à voir absolument. C’est au centre du massif, une sorte de sanctuaire fabuleux, issu de la fameuse « réserve » de chênes que Louis XVI avait destinés aux besoins de la Marine et dont certains dataient de Louis XIV et son ministre Colbert. elle forme une « réserve biologique dirigée » de 13 ha, classée en 1976 à des fins écologiques et scientifiques.

Depuis 1994, 100 ha situés au sud-ouest forment la réserve biologique de Nantigny, sous protection totale, sans travaux ni exploitation. L’objectif est de créer un lieu d’observations scientifiques du milieu à l’état naturel. On peut traverser cette réserve par un sentier. 1 150 ha de la forêt sont classés Natura 2000.

Des couleurs qui changent avec les saisons

Sur les 10 500 ha de la forêt domaniale de Tronçais, le chêne sessile ne règne pas tout seul…On a dénombré ici 500 végétaux, dont 48 arbres. Cette richesse est en partie due à la variété des conditions hygrométriques et géologiques. Le climat est continental tempéré par une influence océanique. Le massif, qui s’étend sur un plateau faiblement vallonné dont l’altitude varie de 200 à 375 mètres, est traversé par deux cours d’eau – la Sologne et la Marmande- qui alimentent cinq étangs – Pirot, Saint-Bonnet, Tronçais, Saloup, Morlat- et des marécages attenants.

Environ 90 sources et fontaines sont répertoriées et constituent des repères de balade… Alors que le sol est dans l’ensemble sableux, c’est le degré et la continuité d’alimentation en eau qui varient et entraînent une répartition inégale des espèces. Le hêtre et le charme, très répandus, constituent le sous-étage des grandes futaies. Leur épais feuillage tamise la lumière, évitant l’apparition des gourmands sur les fûts des grands chênes. On remarque aussi, disséminé, l’alisier torminal dont les feuilles prennent une teinte rouge à l’automne. le pin sylvestre prospère sur les sols les plus pauvres, tout comme le bouleau verruqueux.

Autre « pionnier », le tremble aime les bords d’étangs et les espaces laissés par les coupes de régénération de la forêt. Nombre d’arbrisseaux et d’arbustes viennent compléter le sous-étage des grandes futaies, comme le noisetier, le houx et le saule…Des mousses variées tapissent les sols les plus humides. Au printemps, les sous-bois se couvrent de violettes, pois de senteur, euphorbes, muguet…

Un lieu d’observation ornithologique

À condition d’être discret et aux aguets, le promeneur ne manque pas de constater le grand nombre d’espèces animales présentes . Blaireaux, martres, renards, belettes mais aussi crapauds sonneurs à ventre jaune dans les ornières et  fossés ainsi que 21 espèces de chauve-souris. les arbres morts abritent une faune d’insectes xylophages tels que le lucane cerf-volant, le capricorne, le pique-prune, en plus des mousses et champignons…

Les chevreuils sont discrets, on peut toutefois guetter leurs empreintes…Une multitude d’oiseaux, environ 120, a été recensée, parmi lesquelles le fameux geai des chênes, le pic noir, le très repérable loriot jaune, la sitelle torchepot, le merle noir, l’accenteur mouchet, le pinson des arbres, la chouette hulotte.

Le retour des cerfs et des rapaces

Le cerf élaphe est l’animal mythique par excellence. On a des chances d’en apercevoir si l’on observe quelques règles de discrétion. À la saison du brame, en septembre-octobre, sa prudence diminue, il se laisse observer plus facilement, de loin toutefois. Il peut être agressif si l’on ne respecte pas les distances. Les combats entre mâles sont impressionnants. Le brame du vieux cerf est un cri profond et grave qui semble venu du fond des âges…

Les grands espaces du massif de Tronçais lui conviennent parfaitement car  il a besoin d’au moins 2 000 ha pour se développer. Du reste, il ne se cantonne pas à la forêt domaniale et les prairies et bois privés avoisinants nourrissent aussi les hardes. Le cerf qui avait quasiment disparu de Tronçais a été réintroduit au début du XXe siècle.

Les autres grands seigneurs au l’on remarque à Tronçais sont les rapaces. Leur rôle de régulateur d’espèces prolifiques étant enfin reconnu, ils ne sont plus systématiquement pourchassés, et ils ont reconquis les lieux. Il n’est pas rare d’observer en haute futaie une buse, une bondrée apivore, tandis que la nuit des rapaces nocturnes sévissent, comme la chouette hulotte.

Une gestion héritée de l’époque de Colbert

Tronçais n’a pas toujours bénéficié de tant de sollicitude qu’aujourd’hui. Elle a été tantôt soignée, tantôt malmenée, et l’histoire nous montre qu’à chaque fois elle a manqué de soins appropriés, le taillis a gagné et la ruine l’a menacée…

Avant Colbert, c’était un vaste espace nourricier, peuplé d »habitants avec leurs animaux domestiques, cultivé par endroits. Nul ne se souciait de la pérennité des arbres.

Un siècle et demi plus tard, la rune menace à nouveau : les caisses du royaume sont vides, les industries doivent permettre de les renflouer et les magnifiques fûts de Tronçais servent de bois de chauffe pour les forges. On installe même une forge dans la forêt ! Cette dernière est surexploitée, les animaux due bât l’envahissent et la détériorent. Dans les années 1830, la forêt est en lambeaux, réduite à des taillis que parsèment des landes désolées. Seul a été préservé, pour les hypothétiques besoins de la Marine, le centre du massif : c’est cette réserve que l’on nomme de nos jours la « futaie Colbert ».

A contrario à chauqe fois que Tronçais a été prise en main et gérée, ses futaies ont atteints l’excellence. En 1669, la Réformation de Colbert, qui visait à produire les meilleurs bois en France pour les besoins de la charpente de Marine, a initié une gestion prévoyante : maintien de 20 chênes à l’hectare, interdiction de couper les jeunes arbres, soin et gestion de la croissance. Actuellement, la sylviculture du chêne s’est affinée mais elle repose toujours sur l’essentiel des principes énoncés sous Colbert.

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