Gorges du Verdon, le grand canyon de l’Europe

Sur plus de trente kilomètres; de Castellane au lac de Sainte-Croix en aval, le Verdon a creusé sa voie dans le calcaire blanc de Haute-Provence. Une faille impressionnante d’étroitesse et de profondeur, merveille naturelle à protéger, qui représente un enjeu écologique complexe.

« Rien n’est plus romantique que le mélange des ces rochers et de ces abîmes, ces eaux vertes et ces ombres pourpres… » écrivait Jean Giono à propos de ces gorges qui froment entre le Var et les Alpes-de-Haute-Provence une frontière infranchissable. Vertigineusement étroit et profond – de 250 a 700 m, pour une largeur de seulement 6  à 100 m au niveau de l’eau et de 200 à 1 500 m au sommet de ses falaises -, ce canyon époustouflant aux roches striées, plissées, marquées de balcons, où s’arrime une végétation opiniâtre, et de grottes aux noms évocateurs – Baume aux Pigeons, Baume aux Hirondelles, Baumes aux Bœufs …- n’a pas d’équivalent en Europe.

Le Verdon s’y coule, tantôt impétueux et tourbillonnant, tantôt lisse comme un ruban émeraude : le vert soutenu de ses eaux, auquel la rivière doit son nom, est le résultat de la réaction avec le fluor des algues microscopiques qu’elles contiennent. Mais le phénomène n’entame en rien leur pureté. Quantité de truites, entre autres espèces aquatiques, en témoignent.

Histoire d’eau

Née quelque soixante-dix kilomètres plus au nord, près du col d’Allos, la rivière creuse sa route depuis des millions d’année dans le calcaire blanc, sédimenté au début de l’ère secondaire, il y a plus de deux cent millions d’années. La région était alors recouverte d’une mer chaude et peu profonde, peuplée d’ammonites, d’oursins, de reptiles et de coraux dont on peut çà et là reconnaître les fossiles. Notons au passage que la zone des gorges fait partie de la Réserve géologique de Haute-Provence, et qu’à ce titre tout prélèvement y est strictement interdit.

C’est un socle, plissé et fracturé au moment de la formation des alpes, puis modéré par les différentes glaciations, que le Verdon a fini de sculpter dans la partie centrale de son cours, son débit torrentiel polissant longuement vasques, marmites, grottes et galets. En bas des gorges, l’ancienne plaine des Salles-sur-Verdon s’est transformée depuis 1975 en un lac artificiel bleu turquoise, haut lieu du tourisme estival : le lac de barrage de Sainte-Croix, un des plus grands de France et le plus connu du Verdon. Mais pas le seul.

Un tiers des 175 km du Verdon est occupé par de telles retenues, dont la superficie totale avoisine 3 000 ha. Et cinq barrages y ont été successivement édifiés, qui régulent son cours en assurant réserves d’eau et production électrique : en amont celui de Chaudanne, en aval ceux d’Esparron et de Quinson. la mise en eaux de Sainte-Croix entraîna en 1973, l’engloutissement du village de Salles_sur-Verdon, qui fut rebâti flambant neuf, 400 m plus haut, ainsi que du pont romain d’Aiguines, de la résurgence de fontaine l’Evêque, à Bauduen, et des grottes habitées au paléolithique.

La rançon de la gloire

Les gorges proprement dites s’étirent, elles, du charmant village de Castellane, dominé par l’éperon saillant de Notre-Dame-du-Roc, jusqu’au pont du Galetas, dernière station avant l’ouverture sur le lac. Là est le paradis des randonneurs, des grimpeurs et des amateurs de sports d’eau vive, qui s’ajoutent aux simples promeneurs admiratifs.

Le site reçoit chaque année entre 6000 000 et un million de visiteurs ; c’est dire si la circulation est difficile, en saison, sur les routes les plus spectaculaires et dans les villages aux allures médiévales qui veillent en sentinelles sur la falaise : Aiguines, Trigance avec sa forteresse du XIe siècle, Rougon, ou la Palud-sur-Verdon, qu’il a fallu en dépit de sa petite taille équiper de feux tricolores…

Tant d’affluence ne va évidemment pas sans risques écologiques, depuis la pollution ordinaire – reliefs de pique-nique et autres – aux projets d’aménagements touristiques faisant peu de cas des règlements de protection, en passant par le piétinement involontaire ou la cueillette d’espèces rares.

Depuis 1997, le Par naturel régional du Verdon, qui couvre autour du site une surface totale de 180 000 ha, s’efforce de veiller au grain…

Au fil des gorges

On distingue dans les gorges trois parties : les Prégorges, qui vont jusqu’au pont de Soleils, puis la zone centrale, plus resserrée, terminée par un chaos d’énormes rochers, l’Imbut (« entonnoir » en provençal), dans lequel le Verdon disparaît sur près de 150 m, et enfin le Canyon, envahi l’été dans sa partie basse de kayaks, pédalos et autres embarcations non motorisées remontant du lac de Sainte-Croix.

L’itinéraire routier qui permet d’en faire le tour, un peu plus de cent kilomètres, emprunte la D 952 de Castellane à Mousiters-Sainte-Marie, sur la rive nord, et sur la rive sud la D 71 – dite Corniche sublime – au départ d’Aiguines, puis la D 90 et la D 995, jusqu’au pont de Soleils qui franchit la rivière non loin de Rougon. Si le bitume ne frôle pas toujours l’abîme, il offre néanmoins nombre de belvédères splendides.

Pour ne citer que les plus fameux : le pont Sublime, à Rougon, et sa vue du couloir Samson, large d’une dizaine de mètres – il doit son nom à une cariatide géante, sculptée par l’érosion, qui semble y soutenir la falaise ; la route des Crêtes, qui suit au plus près le dessin des gorges au niveau de la Palud, sur une vingtaine de kilomètres ; le col d’Illoire, près d’Aiguines, donnant sur la rive droite du Canyon ; le pont de l’Artuby, élégamment jeté sur l’affluent du même nom ; enfin les balcons de la Mescla, « mélange » en provençal, qui dominent le confluent de l’Artuby et du Verdon.

Quant au fond des gorges, il offre aux marcheurs aguerris des randonnées magiques. Ainsi le célèbre sentier Martel qui mène de Rougon, où l’accès à l’eau est aisé, jusqu’à l’Imbut en quinze kilomètres, soit sept heures de marche. Relié au précédent par une passerelle métallique ultramoderne, le sentier de l’Imbut est plus difficile, avec ses 740 m de dénivelées positives et négatives. On y croise un étonnant bois de hêtres, un cade (genévrier) de plus de deux mille ans, et ce « canyon dans le canyon » où les eaux vert intense s’écoulent au ralenti entre vasques et marmites d’une blancheur d’os. Frappé par son étrangeté, Martel le baptisa comme le fleuve des enfers : le Styx.

Un monde à part

Fort d’une ensoleillement maximum – environ trois cents jours par an – et d’une humidité constante, les gorges abritent une végétation luxuriante, en contraste total avec l’aridité des plateaux environnants. On y retrouve le buis ou le hêtre, avide de fraîcheur, mais aussi des espèces figurant dans le livre rouge de la flore menacée de France, dont plusieurs endémiques, engendrées en exclusivité par le microclimat.

La plus célèbre est la fougère du Verdon, cousine de la doradille des fontaines, qui se niche dans les anfractuosités de la paroi ; la plus jolie une campanule bleu vif nommée « raiponce de Villars ». Également amateurs de falaises, les vautours fauves, réintroduits, cohabitent avec le crave à bec rouge et le faucon pèlerin, tandis qu’hirondelles, martinets et martins-pêcheurs zigzaguent à la surface de l’eau.

Avec un peu de chance, on peut aussi apercevoir dans les basses gorges une cistude, la seule tortue aquatique de nos régions, se chauffant sur une pierre plate, ou les travaux de terrassement d’un castor…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *