Beaufortain, un massif chaleureux

Sur un fond de ciel bleu et de crêtes enneigées, des alpages vert intense où paissent des vaches rousses, des sapins sombres, des chalets de bois arrimés aux pentes et des villages coquettement fleuris nichés dans les vallées autour d’un clocher à bulbe…le Beaufortain ressemble à un dessin d’écolier.

Au cœur de la Savoie, le massif de Beaufortain s’étire autour de la vallée du Doron et de ses affluents, le Dorinet et l’Argentine, selon un axe sud-ouest-nord-est au bout duquel le massif du Mont-Blanc attire immanquablement le regard. Limité en parallèle, côté nord par la vallée de l’Arly, côté sud par celle de la Tarentaise, il s’entoure en guise de frontières d’un cercle de crêts aux silhouettes hardies, « aiguilles » et « dents » dont les plus hautes frôlent les 3 000 mètres.

L’œil du géologue

Du sud vers le nord-est se succèdent ainsi le Grand Mont (2 687 m), le Mirantin (2 461 m), le Crêt du Rey (2 639 m), me Mont Coin (2 541 m), l’Aiguille du Grand Fond (2 889 m), la Terrasse (2 891 m), le Roignais (2 999 m), puis au nord l’Aiguille de Roselette (2 384m) et les Aiguilles Croches (2 487 m).

Avec ses rondeurs généreuses qui lui ont donné son surnom de « Petit Tyrol », le versant opposé est plus sage, avoisinant seulement les 2 000 mètres au Mont de Vores, au Chard du Beurre, ou encore au signal de Bisane. Accessible en voiture l’été, ou par télésiège l’hiver, ce dernier constitue l’un des plus remarquables belvédères de la vallée, tandis que le col du Joly, terminus de la route d’Hauteluce, offre un panorama superbe sur le Mont-Blanc

D’un point de vue géologique, le Beaufortain se compose de deux parties très différentes : à l’ouest des roches cristallines – essentiellement des micaschistes et du gneiss – découpées en échines abruptes ; à l’est, paradoxalement plus élevé, des schistes argilo-calcaires déposés au Secondaire au fond de l’océan alpin. Soulevés en larges plis superposés, ceux-ci forment les croupes doucement arrondies caractéristiques des alpages du Beaufortain, d’où émergent ici et là des arêtes de calcaire plus dur, aggloméré et « cassé » lors du rapprochement des bords de l’océan : comme la Pierra Menta ou encore le Roc du Vent, au-dessus du lac de Roselend. On exploitait autrefois dans la région des mines de charbon et de cuivre argentifère.

La montagne des hommes

Dans ce cadre bien circonscrit, quatre villages sont nichés : Queige, Villars-sur-Doron, Hauteluce et Beaufort, la « capitale », ainsi qu’une multitude de hameaux, de chapelles, d’oratoires naïfs et de chalets isolés, éparpillés à flanc de montagne. Deux petites stations de ports d’hiver – les Saisies et Arêches – s’y sont ajoutées, concessions nécessaires à un tourisme dont l’économie locale ne saurait se passer. Mais celui-ci n’a entamé ni l’harmonie naturelle, ni l’authenticité des traditions de la vallée, qui vient même d’obtenir le label « Villes et pays d’art et d’histoire ».

Si le Beaufortain a ainsi préservé son âme, ce n’est pas tant du fait de son isolement – après tout Albertville n’est qu’à une dizaine de kilomètres – mais parce que ses habitants ne l’ont jamais déserté : un fait qui inspira à Roger Frison-Roche ce surnom de « montagnes des hommes ». Tout comme leurs ancêtres qui modelèrent au fil des siècles ce paysage idéal, ses quelque cent quarante agriculteurs d’aujourd’hui s’y livrent entre la mi-juin et la mi-septembre à la traditionnelle remue, durant laquelle les troupeaux – exclusivement des vaches tarines, rousses, ou Abondance, brune et blanches – montent et descendent progressivement, d’alpage en alpage et de chalet en chalet, afin de jouir toujours de l’herbe grasse et fleurie qui seule donne au fromage de Beaufort, le « prince des gruyères », son délicieux petit goût de noisette. Certains en cuisent même encore la pâte sur place, au feu de bois dans les chaudières de cuivre battu d’une fruitière d’altitude : à la Grange-aux-Fées, au-dessus d’Arêches, ou à l’alpage de Bisane près des Saisies, par exemple.

Le bois et l’eau

L’ubac est le domaine réservé de la forêt, qui occupe à elle seule plus de 8 500 des 27 000 ha de la vallée. Les précipitations importantes et l’altitude en font le royaume de l’épicéa à croissance lente, dont les plantations ont le bon goût de se régénérer d’elles-mêmes, sans intervention humaine.

S’il n’est pas certain que le nom d’Arêches vienne bien du mot patois « rêche », qui désigne une scie, n sait en revanche que le Beaufortain comptait à la fin de la Seconde guerre mondiale trente-neuf scieries : elles ne sont plus que qutre aujourd’hui, mais chaque hameau ou presque possède sa petite installation, à usage familial.

Et les artisans veillent à préserver les savoir-faire anciens : fabrication d’ancelles et te tavaillons pour les toitures, des cercles cintrés qui servent de moule au Beaufort, ou construction de chalets traditionnels, remis en vogue par l’écologie…

Au bois, largement utilisé pour le chauffage, s’ajoute ici une seconde source d’énergie : l’eau. la vallée ne compte pas moins de quatre barrages, dont le plus connu et le plus impressionnant est l’immense voûte du Roselend qui ferme, depuis 1961, la gorge du Doron. Long de 800 mètres et haut de 150, il peut retenir jusqu’à 187 millions de m³ d’eau.

Mais le plus ancien et le plus insolite reste celui de la Girotte, retenue à l’origine naturelle dont le verrou rocheux fut percé dès 1903 pour alimenter une papeterie. Plus tard, les aciéries d’Ugine s’appliquèrent à l’améliorer par un barrage dit à voûtes multiples, alignement de tours ventrues dont la construction, entamée en 1943, ne s’acheva qu’en 1949. Il est vrai que le chantier servait avant tout de couverture au réseau de Résistants beaufortains…

Les sentiers de la découverte

Les amateurs de plans d’eau plus sauvages préfèreront les eaux sombres des trois Lacs de la Tempête, situés à plus de 2 000 mètres, sous le Grand Mont. Ce n’est que l’un des innombrables itinéraires de randonnée offerts par le massif, qui cumule plusieurs centaines de kilomètres de sentiers accessibles à pied, à vélo ou à cheval, et parfois l’hiver à ski ou en raquettes.

Certains itinéraires mettent plus particulièrement en valeur l’architecture traditionnelle locale, qui marie socles de pierre et murs de madriers entrecroisés. Ainsi le chemin des Pointières, au hameau de Molliessoulaz (Queige), jalonnée de panneaux expliquant l’histoire rurale du demi-siècle écoulé, avec sa vieille chapelle, sou four à pain, son moulin, sa grange au toit de chaume reconstitué et son petit musée d’outils anciens, ou encore le hameau de Boudin, au-dessus d’Arêches, sur une pente si raide « qu’il faut y ferrer même les poules ».

Ses chalets à décors en trompe-l’œil et toits d’ancelles, ses greniers ou mazots de madriers emboîtés et son adorable chapelle baroque aux peintures restaurées sont classés et protégés depuis 1943. À noter qu’une charte architecturale, préservant l’unité esthétique de l’ensemble du territoire est en passe d’être adoptée.

Les amateurs de faune et de flore ont aussi leurs circuits privilégiés. Au pied du mont Bisane, une colonie de marmottes dont les guetteurs ne s’émeuvent pas trop du passage discret des promeneurs ; près d’Arêches un promontoire planté de pins sylvestres, dominant le défilé d’Entreroches, que fréquentent chamois et chevreuils ; les abords de la Crête des Gittes, royaume des bouquetins, en surplomb du défilé minéral du Col de Roselend, ou encore, de l’autre côté du barrage, le sympathique sentier botanique du Col du Pré où trône notamment un épicéa âgé de 140 ans.

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